MÉMOIRE DE LA FONDATION MUTTART

SOMMAIRE

Partout au Canada, des organismes de bienfaisance sont mis sur pied afin de répondre aux besoins des Canadiens et d’améliorer la qualité de vie de chacun d’entre eux. Au cours du bouleversement économique des années dernières, ces organismes font face à leurs propres difficultés, puisque dans de telles circonstances, la demande de services s’est accrue. Pour soutenir une reprise à l’échelle nationale et locale, il faut également déterminer les besoins des organismes de bienfaisance et y répondre. À ces fins, la fondation Muttart recommande au gouvernement fédéral :

a)    d’instaurer un « crédit d'impôt extensible » pour une période initiale de cinq ans, afin d’attirer de nouveaux donateurs et d’encourager les donateurs actuels à augmenter le montant de leurs dons;

b)    de donner aux organismes de bienfaisance un accès aux services offerts par les ministères et aux programmes offrant de l’aide au secteur des entreprises;

c)    de désigner la Cour canadienne de l’impôt au titre de cour de première instance pour l’examen des décisions prises concernant le refus d’enregistrer un organisme de bienfaisance ou la révocation de l’enregistrement d’un organisme de bienfaisance déjà existant.

INTRODUCTION

La fondation Muttart est un organisme de bienfaisance enregistré, mais en tant que fondation privée, elle ne s’occupe pas de collectes de fonds et ne reçoit pas de financement du gouvernement. La fondation travaille en partenariat avec des centaines d’organismes de bienfaisance; par conséquent, elle est bien placée pour observer les tendances et les généralités qui se dégagent des différents types d’organismes de bienfaisance.

À l’heure actuelle, il est facile de discerner ces tendances. Les organismes de bienfaisance vivent des temps difficiles. Ils sont touchés par le bouleversement économique mondial au même titre que tout autre type d’organisme, en faisant abstraction du secteur dans lequel il œuvre. Bon nombre d’organismes de bienfaisance sont touchés de façon démesurée : en période de crise financière, les services offerts par les organismes de bienfaisance sont souvent de plus en plus demandés. En plus de cette demande croissante, on constate souvent une diminution des dons, puisque les souscripteurs – les gouvernements, les entreprises, les fondations et les citoyens – font tous face à leurs propres ennuis résultant de la récession.

On trouve des organismes de bienfaisance dans presque toutes les villes et tous les villages du pays. Ils ne sont pas créés pour servir leur propre intérêt, mais sont mis sur pied afin de répondre aux besoins des Canadiens et d’améliorer leur qualité de vie. Aider les organismes, c’est aider les Canadiens, par le fait même. En effet, la contribution du secteur bénévole et communautaire du Canada au produit intérieur brut du pays dépasse celle de l’agriculture, de la fabrication automobile ou du commerce de détail.

Dans bon nombre de cas, les gouvernements offrent leurs programmes par l’entremise des organismes de bienfaisance. Dans l’éventualité où certains de ces organismes de bienfaisance cesseraient d’exister en raison de crises financières, les gouvernements devraient trouver d’autres mécanismes de prestation, ou se charger eux-mêmes de la prestation des programmes. Il est probable que cette solution mène à une hausse des coûts, et fasse également en sorte de détacher l’aspect communautaire de ces programmes et de supprimer l’information de base que fournissaient les organismes de bienfaisance, qui rencontraient les clients, aux représentants du gouvernement. Ces résultats probables pourraient tous deux être nuisibles pour les gouvernements et les collectivités qu’ils visent à servir.

La fondation Muttart propose que le Comité des finances recommande trois moyens que pourrait adopter le gouvernement du Canada dans le but d' aider les organismes de bienfaisance et, par l'entremise de ces organismes, de veiller à la continuation et à l’amélioration des services offerts aux Canadiens. 

Recommandation 1 – Crédit d'impôt « extensible »

Le pourcentage de Canadiens qui demande un crédit d’impôt pour don de bienfaisance est en baisse. Il est également important de souligner la préoccupation que représente le pourcentage considérable de Canadiens âgés qui donnent des sommes importantes : si ces donateurs ne sont pas remplacés par de nouveaux donateurs, les Canadiens en subiront les conséquences, puisque les organismes de bienfaisance qui sont à leur service ne disposeront pas des fonds dont ils ont besoin. Ce manque de donateurs risque de survenir au moment où ces Canadiens âgés qui ne seront plus aptes à apporter leur contribution feront face à un besoin accru en services, qui sont généralement offerts par les organismes de bienfaisance.

Au cours de la dernière décennie, le gouvernement fédéral a pris de nombreuses mesures pour accroître l’intérêt des Canadiens à revenu plus élevé pour les dons de bienfaisance. Il s’agissait d’une démarche importante qui a reçu un bon accueil. Mais les bénéfices n’ont pas été ressentis dans tout le secteur : les dons de titres cotés en bourse, par exemple, ont eu tendance à avantager les grandes œuvres de bienfaisance institutionnelles. Pour sa part, le crédit d’impôt « extensible » proposé attirerait les donateurs qui offrent des dons importants mais plus modestes, et il serait plus susceptible d’avantager les organismes de bienfaisance de toute taille et de tout genre. Par conséquent, nous appuyons la proposition formulée par Imagine Canada voulant qu’un crédit de cet ordre soit instauré. Cet incitatif encouragerait davantage de contribuables à donner et à augmenter le montant de leurs dons.

Selon notre proposition, 2011 sera désignée comme une année de référence pour les dons de bienfaisance du contribuable. Dans le cas où les dons d’un contribuable excéderaient ceux effectués lors de l’année de référence, le crédit d’impôt sur le montant en surplus serait plus élevé de 10 p. 100 que le taux d’imposition existant – 25 p. 100 pour les premiers 200 $ et 39 p. 100 pour tout montant dépassant 200 $. Le montant en surplus pourrait alors constituer la base du contribuable pour l’année suivante, et ainsi de suite. L’incitatif s’appliquerait seulement aux surplus d’un maximum de 10 000 $ pour l’année de référence. L’incitatif pourrait faire l’objet d’un essai réalisé sur une période de cinq ans, après laquelle il pourrait être évalué par le gouvernement et le secteur des organismes de bienfaisance. Cet essai serait conforme aux mesures qui accompagnent la mise en place de règlements concernant les dons de titres cotés en bourse.

Le directeur parlementaire du budget (DPB) a déjà étudié les répercussions financières d’une proposition semblable[1]. Dans son rapport, le DPB estimait que la variation examinée mènerait à un manque à gagner de l’ordre de 10 à 40 millions de dollars par année après une période de mise en œuvre de trois ans. Toutefois, il faut garder à l’esprit que l’importance d’un crédit de ce genre réside dans l’effet de levier qu’il engendre : il entre en jeu seulement si les Canadiens effectuent des dons. Dans son rapport, le DPB laisse entendre qu’entre 30 et 45 p. 100 du manque à gagner découleraient des dons qui n’auraient autrement pas été faits. Il s’agit d’un effet de levier extrêmement fort.

La fondation sait que le Comité des finances étudiera la motion d’un député qui demande un examen d’un grand nombre de types de soutien pour les dons de bienfaisance. Le concept du crédit d'impôt extensible a déjà fait l’objet d’une étude, et le besoin d’attirer de nouveaux donateurs et d’encourager les donateurs actuels à augmenter le montant de leurs dons constitue un besoin immédiat.

La fondation Muttart invite le Comité permanent des finances à recommander au gouvernement du Canada d’instaurer un « crédit d’impôt extensible » pour une période initiale de cinq ans, afin d’attirer de nouveaux donateurs et d’encourager les donateurs actuels à augmenter le montant de leurs dons.

Recommandation 2 – Donner accès aux services déjà offerts aux entreprises

Une panoplie de services gouvernementaux sont mis à la disposition du milieu des affaires, plus particulièrement les petites et moyennes entreprises. Des ministères et des organismes tels Industrie Canada, les centres d’affaires de Service Canada et la Banque de développement du Canada peuvent fournir de l’expertise et des conseils importants à ces entreprises. Que ce soit par les services de planification, les conseils ou le soutien concernant les technologies, la détermination des possibilités d’aide financière, des outils d’analyse ou des incitatifs à l’emploi comme ceux offerts grâce au Programme d'aide à la recherche industrielle, le gouvernement offre un soutien important.

De bien des façons, les organismes de bienfaisance se trouvent dans la même position que les entreprises et ont souvent besoin du même type d’aide. Ces 170 000 organismes emploient 7,2 p. 100 de l’ensemble de la main-d’œuvre rémunérée du Canada, et comptent une masse salariale annuelle s’élevant à près de 22 milliards de dollars.

Dans la plupart des cas, aucun élément ne semble exclure plus particulièrement les organismes de bienfaisance dans les mandats de ces ministères et organismes, et il n’y a jamais eu non plus d’importance accordée à la promotion de tels services auprès du secteur des organismes de bienfaisance.

La fondation Muttart invite le Comité permanent des finances à recommander au gouvernement de demander aux ministères qui offrent des programmes ciblant les petites et moyennes entreprises de donner accès (et promouvoir activement) à ces mêmes services aux organismes de bienfaisance de petite et de moyenne taille.

Recommandation 3 – Cour canadienne de l’impôt

Pendant plus de 150 ans – et jusqu’à il y a à peine deux ans –, les tribunaux du Canada et d’ailleurs indiquaient que le droit relatif aux organismes de bienfaisance devait évoluer afin de représenter les besoins actuels des collectivités. Cette évolution peut se produire au moyen de mesures parlementaires, et à l’aide d’un contrôle judiciaire des organismes de bienfaisance potentiels.

À l’heure actuelle, un organisme à qui on refuse d’accorder le statut de bienfaisance doit déposer un premier appel devant la Cour d’appel fédérale. Il s’agit d’un processus lourd et onéreux, inapproprié pour une organisation qui cherche à servir l’intérêt public. De la même façon, un organisme dont l’enregistrement au titre d’organisme de bienfaisance est révoqué doit se présenter devant la Cour d’appel fédérale. Ces appels font l’objet d’audiences documentaires; il n’est pas possible d’y présenter des preuves.

Les tribunaux, y compris la Cour d’appel fédérale et la Cour suprême du Canada, ont indiqué qu’il serait nécessaire de mettre en place un type de structure d’appel différent, dans le cadre duquel les témoins peuvent être entendus et contre-interrogés avant d’en arriver à une décision. C’est exactement de cette façon que procède la Cour canadienne de l’impôt dans les autres cas dont elle est saisie.

La Loi de l'impôt sur le revenu traite de façon appropriée chaque personne et société en tant que contribuable, à moins d’une exception particulière. Les organismes de bienfaisance potentiels font toutefois partie d’un très petit groupe de contribuables n’ayant pas accès à la Cour canadienne de l’impôt et, par conséquent, perdent l’accès à l’approche la plus informelle et ne bénéficient pas du fait que la Cour de l’impôt siège dans plus d’endroits au pays que la Cour d’appel fédérale. Ces organismes à qui on refuse d’accorder le statut d’organismes de bienfaisance manquent alors de recours aux voies d’appel accessibles et abordables.

La raison la plus souvent citée pour ne pas appliquer la compétence de la Cour canadienne de l’impôt aux problèmes touchant les organismes de bienfaisance concernait les connaissances spécialisées de celle-ci. L’argument avancé est que tandis que le droit des organismes de bienfaisance repose sur l’examen du droit commun, la spécialité de la Cour canadienne de l’impôt est d’interpréter le droit législatif : la Loi de l'impôt sur le revenu.

Un tel argument ne résiste pas à un examen approfondi ou ne rend pas justice aux compétences des juges de la Cour canadienne de l’impôt. Des juges sont nommés aux tribunaux dans l’ensemble du pays chaque année après s’être spécialisés dans un domaine particulier du droit. Une fois entré dans la magistrature, on s’attend à ce qu’ils s’occupent de tous les cas qui seront présentés devant eux. Bien que les juges de la Cour canadienne de l’impôt doivent véritablement faire des recherches additionnelles sur les questions rattachées aux droits des organismes de bienfaisance, ils se trouvent dans la même position que tout autre juge ou tribunal administratif.

Un tel argument ne tient également pas compte du fait que le Parlement a déjà décidé que les appels des sanctions de sévérité moyenne imposées aux organismes de bienfaisance seront entendus, en première instance, par la Cour canadienne de l’impôt. On ne sait pas exactement pourquoi ce type d’appel est approprié pour la Cour canadienne de l’impôt, alors que les appels les plus importants ne le sont pas.

Par le passé, les fonctionnaires de la Cour canadienne de l’impôt ont indiqué qu’étant donné le nombre d’appels anticipé, ils n’auraient besoin que de peu ou pas de ressources additionnelles pour traiter les appels relatifs aux organismes de bienfaisance. Par conséquent, le gouvernement pourrait apporter le recours approprié pour l’examen judiciaire des décisions liées au droit des organismes de bienfaisance à un coût presque nul.

La fondation Muttart invite le Comité directeur des finances à recommander une modification de la Loi de l'impôt sur le revenu de sorte que les appels liés au refus d’enregistrer un organisme de bienfaisance ou à la révocation de l’enregistrement d’un organisme de bienfaisance soient entendus, en première instance, par la Cour canadienne de l’impôt.

CONCLUSION

Les membres de la fondation Muttart sont heureux d’avoir l’occasion de présenter ces propositions au Comité afin qu’il puisse les étudier.

Bon nombre de membres du Comité comptent des années d’expérience en tant que bénévoles auprès d’organismes de bienfaisance de tout genre. Par conséquent, ils connaissent très bien la confiance que les gens accordent à ces organismes, dans les meilleurs moments comme dans les pires.

Un grand nombre d’organismes de bienfaisance vivent des temps difficiles. Bon nombre d’entre eux font état de l’augmentation des demandes et de la diminution des dons. C’est une équation de mauvais augure pour les Canadiens, qui met en péril à la fois les programmes de loisirs, les services en cas de sinistre, les services de garderies, les services pour les aînés, la recherche scientifique, les services qui fournissent des mentors aux enfants, les banques alimentaires et les arts.

Les gouvernements ont reconnu la nécessité de fournir de l’aide ciblée aux divers secteurs de l’économie. Ils se sont montrés proactifs en investissant dans l’infrastructure et les entreprises. À ce jour, ils n’ont pas reconnu suffisamment les besoins des organismes de bienfaisance malgré le rôle qu’ils jouent sur le plan économique. Il est maintenant temps d’y remédier.

La fondation Muttart invite le Comité permanent des finances à intégrer chacune de ces recommandations dans son rapport.


[1] L’étude du directeur parlementaire du budget traite seulement des contributions de plus de 200 $.